La numérotation des symphonies
22 Apr 2024
News Story
De gauche à droite: Schubert, Schumann, Bruckner et Mendelssohn
Une personne voulant savoir laquelle des symphonies de Mozart ou de Haydn fut interprétée dans un concert donné de leur vivant peut se retrouver dans une impasse si le compositeur lui-même ne l’a rapporté. Si une affiche a survécu, elle ne fait souvent allusion qu’à « une grande symphonie » - précision qui n’aide guère - et si des détails subsistent tels que la mention « nouvelle » ou même la tonalité de l’œuvre (qui permettraient d’en écarter certaines), ce n’est pas toujours bien fiable.
Quelques années plus tard, Beethoven transforma le genre de la symphonie pour en faire le symbole du Grandiose. On trouve très peu de compositeurs par la suite dont les symphonies atteignent la dizaine. Les quinze symphonies de Chostakovitch font de lui l’exception la plus connue, même s’il a été éclipsé depuis par Leif Segerstam, compositeur contemporain qui en compte déjà au-delà de 350 !
Celles de Beethoven, à qui l'on doit déjà nettement moins de symphonies que ses prédécesseurs, sont les premières à être (re)connues par leur nombre ordinal. Dans ce cas, il semble évident que celles-ci furent donnés selon leur ordre de composition, mais c’est compter sans les maisons d’édition qui parfois s’en sont mêlées !
Le cas de Mendelssohn en est la preuve. Selon la version officielle, cinq symphonies viennent de sa propre plume : no1 en ut mineur, no2 en si bémol majeur (Lobgesang ou Chant de louange), no3 en la mineur (Ecossaise), no4 en la majeur (Italienne) et no5 en ré mineur (Réformation). En réalité chacune a été numérotée selon leur ordre de publication, sans lien avec leurs dates de composition.
La publication des symphonies Italienne et Réformation fut posthume, et dans le désordre. Pour ce qui est de la chronologie de composition, les symphonies no1 et no5 furent les premières, suivies des no4 et no 2, et enfin la no3 pour clore le cycle. Il fut un temps où l’on aurait corrigé leur numérotation, mais la rétablir serait aujourd’hui un travail pharaonique. Imaginez-vous la confusion si, à l’annonce du concert du Scottish Chamber Orchestra à la Halle aux Grains, le 21 mai, on avait fait allusion à la Symphonie no5 en la mineur, dite Ecossaise !
Les symphonies de Mendelssohn, renumérotées selon leur ordre chronologique
Pour dire vrai, toutes les cinq sont numérotées à tort. Mendelssohn avait composé une douzaine de symphonies pour orchestre à cordes étant adolescent, toutes laissées de côté lors de la publication de la no1 officielle. Écrite pour grand orchestre, et nettement plus imposante que les douze précédentes, il faut avouer qu’elle mérite bien le prestige d’être désignée la première du jeune compositeur, dont l’éditeur était de toute évidence fin stratège.
Les quatre symphonies de Schumann mettent en lumière un autre problème. Il composa la no4 en deuxième, mais celle-ci ne fut publiée (en version révisée) que dix ans plus tard, et ce après la publication des no2 et 3. Si l’on reconnait une meilleure structure dans cette nouvelle version, c’est peut-être aux dépens d’une orchestration plus subtile dans la version d’origine. Il faudrait néanmoins que cette première version soit incontestablement plus appréciée avant que l’œuvre ne soit enfin reconnue comme la Symphonie no2, sans parler de renuméroter les deux suivantes en conséquence. (Pax aux amateurs de son Ouverture, Scherzo et Final: son éditeur n’étant pas d’accord avec Schumann pour la publier en tant que Symphonie no2, elle vit le jour sous ce titre plutôt maladroit, qui peut expliquer en partie son exclusion de plusieurs enregistrements de l’intégrale des symphonies du compositeur. Résultat, ce petit joyau reste méconnu.)
Je ne sais si cela se peut ; mais je sais bien que cela est.
Pour ce qui est des symphonistes plus féconds, les maisons d’édition ont vite fait de reconnaître le chiffre neuf comme numéro magique. Tout compositeur ayant écrit autant de symphonies que Beethoven pourrait être éventuellement considéré au même niveau que le maître. Bien que la tactique fut douteuse, elle fait incontestablement preuve de bonne stratégie marketing. (Ne parlons pas ici de la Malédiction de la Neuvième, selon laquelle un compositeur serait mort avant d’en compléter une dixième.) Si les premiers essais symphoniques de Bruckner avaient été publiés plus tôt, il serait reconnu en tant que compositeur de onze symphonies, la no7 en mi majeur se revêtant de la robe de la neuvième. La parution de ses deux œuvres antérieures s’est faite sous les titres de no0 en ré mineur et ... no00 (ou double zéro) en fa mineur.
Les neuf symphonies de Bruckner numérotées tel quel démontrent l’importance de respecter l’ordre de composition. Connu pour retravailler ses partitions, il a par exemple révisé ses Symphonies no2 à no4 au moins quatre fois chacune entre 1873 et 1892, ayant entretemps complété les no5 à no8 et commencé la 9ème. Etant donné le nombre de variantes disponibles, seul le numéro de ces symphonies semble rester fixe. Il parait donc logique d’en parler selon la formule « Symphonie non (version année) », tenant ainsi compte de l’ordre dans lequel Bruckner les a conçues, peu importe à quel point il les changea par la suite.
Le cas des symphonies de Schubert peut paraître plus clair, malgré leur numérotation posthume. Son admission au club sacré des Neuf Symphonies dépend cependant d’une libre interprétation des règles. Il faut compter non pas une mais deux symphonies inachevées, la no7 en mi majeur ayant droit à part égale au surnom donné à la 8ème. Dans le monde germanophone en revanche, où les symphonies de Schubert furent publiées en premier, aucun numéro n’est attribué à celle que nous connaîssons comme la no7. Ce numéro revient donc à l’Inachevée, tandis que la Grande devient la no8 en ut majeur … à condition de ne pas suivre les éditions de 1897, où leur numérotation a été inversée dans la certitude que la Grande avait été écrite en premier. Pour une question qui ne concerne que trois symphonies, le manque de cohérence en leur numérotation peut donner mal à la tête ...
Il se pourrait que parler des symphonies selon leur tonalité règlerait quand même un grand nombre de problèmes !
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